Ou Le foot crève de sa cupidité
Panique dans le monde du football moderne ! Douze clubs (Real Madrid, FC Barcelone, Atletico Madrid, Arsenal, Chelsea, Liverpool, Manchester United et City, Tottenham, Milan AC, Inter de Milan et Juventus de Turin) voulaient s’affranchir de l’UEFA et toucher le pactole sans faire croquer l’institution historique du foot européen. Cette idée de l’entre-soi — entre clubs riches — n’est pas une nouveauté. Gervais Martel (Président historique et à vie dans le cœur des supporters du RC Lens) expliquait le 19 avril dernier, sur le plateau de l’équipe du soir que dès 1998, cette idée de « super ligue » était sur le point de se réaliser, avant que les clubs anglais se retirent de ce projet. Rien d’étonnant donc, ce projet n’est autre que la suite logique de la Ligue des champions instaurée en 1992.
Une suite logique
Effectivement, la Champions league porte déjà le germe de ce que les « 12 salopards » voulaient accélérer, c’est-à-dire l’entre soi, la rentabilité et l’inégalité. La journaliste de TF1 Nathalie Ianetta s’est soudainement réveillée sur Twitter en écrivant que : « Ce projet de Super ligue n’est pas seulement une honte. C’est aussi une insulte à ceux qui le font, les joueurs, et ceux qui le vivent : les supporters. Qu’ils la fassent leur ligue fermée ! On vivra sans eux. On vibrera sans eux. On aimera de nouveaux clubs. De nouvelles villes. Ils nous prennent pour des clients ? Ils nous méprisent ? Ils pensent qu’on dépensera des sommes folles pour voir toutes les semaines les clubs s’opposer ? Chiche ! Refusons collectivement, dans l’Europe entière, de cautionner cette mascarade cynique et totalement anachronique. Le foot tel qu’on le vit aujourd’hui est moribond. Le nouveau est prêt à surgir : plus populaire, plus engagé, plus spectaculaire, plus culturel. Ils raisonnent comme hier : l’argent. La rentabilité. L’outrance. À nous de leur faire comprendre que ce foot-là se fera sans nous. Et donc sans eux. »
En lisant la réaction de Nathalie Ianetta, j’ai quand même failli m’étouffer en mangeant mon makowiec. Tout ce que la journaliste dénonce à juste titre dans son message réside déjà dans la Ligue des champions. J’aurais aimé voir cette même colère à l’encontre d’une ligue des champions qui a remis un rideau de fer entre Est et Ouest depuis 1992. Pas de quoi s’énerver donc, comme indiqué précédemment, la Super ligue n’est rien d’autre que la continuité de la Ligue des champions. La Ligue des champions est déjà une ligue fermée entre clubs italiens, anglais, allemands et espagnols où quelques figurants portugais, français ou autres sont gentiment tolérés de temps en temps.
Si je jouais la carte de la provocation, je pourrais comprendre que les équipes fondatrices de la SuperLigue en ont assez de jouer contre des clubs français qui se donnent toute la saison pour se qualifier dans cette compétition puis font juste de la figuration après avoir touché le chèque qui va avec une qualification en phase de poules.
Une ligue fermée
Entre 1970 et 1980, les demi-finales de la Coupe des clubs champions ont vu s’affronter des clubs de 16 pays différents de toute l’Europe (Écosse, Angleterre, Espagne, Grèce, Yougoslavie, URSS, Portugal, Pays-Bas, Suède, France, Hongrie, Autriche, Allemagne, Suisse, Italie et Belgique). Entre 2010-2020, ce ne sont que les clubs de… six pays qui se sont affrontés à ce stade de la compétition (France, Italie, Pays-Bas, Angleterre, Espagne et Allemagne) et souvent les mêmes clubs du reste (Real, Barcelone, Bayern Munich). La Ligue des champions est déjà une ligue fermée qui a ostracisé les clubs des pays d’Europe centrale, baltes…
Pire ! Depuis 2000, la finale de LdC s’est transformée en simple finale de coupe nationale à plusieurs reprises : Real Madrid – Valence en 2000, Juventus – Milan AC en 2003, Manchester United-Chelsea en 2008, Bayern Munich – Borussia Dortmund en 2013 et Tottenham-Liverpool en 2018. Parfois, nous avons même eu à voir un simple derby entre clubs d’une même ville : Real Madrid-Atletico en 2014 et 2016…

Les tours préliminaires : ce plafond de verre
De 1992 à 1997, les équipes n’ont qu’un tour préliminaire à passer pour accéder aux phases de poules. Ce qui permet aux clubs d’Europe centrale de participer encore aux groupes de Ligue des champions (L’Hadjuk Split, le Steaua Bucarest, en 1994-1995 le Legia Varsovie Ferncvaros en 1995-1996 et le Widzew Lodz en 1996-1997). Dès la fin des années 1990, les tours préliminaires se multiplient, deux puis trois jusqu’à quatre pour certaines équipes aujourd’hui encore. C’est aussi à cette époque que les clubs italiens, espagnols ou allemands se multiplient en phase de poules. Comme rappelé précédemment, lors de l’édition 1999-2000, la finale de cette Ligue des champions se résumait à une finale de Coupe d’Espagne : le Real Madrid était opposé au troisième de la Liga de la saison 1998-1999, le FC Valence. Cette même saison, le Widzew Lodz, champion de Pologne n’accédait même pas à la phase de poules en se faisant éliminer par la Fiorentina, troisième du championnat italien l’année d’avant…
Dès cette fin de millénaire, les clubs de nombre de pays (je parle beaucoup d’Europe centrale, mais on peut aussi penser à l’Irlande, les pays baltes ou scandinaves) se retrouvent éliminés par le système des tours préliminaires qui bouchent l’accès aux phases de poules — plus de clubs hongrois, baltes, polonais, serbes, etc.
Pour en revenir au « coup de gueule » de Nathalie Ianetta qui écrivait « On vivra sans eux » en parlant du club des 12, elle ne semble pas avoir pris conscience ou n’est pas dérangée par le fait que depuis plus de 20 ans, le foot européen vit sans clubs baltes, bosniaques, polonais, slovènes, slovaques…

L’argent, le nerf de la guerre
Ces tours préliminaires qui bloquent l’accès de nombreux clubs de différents pays ont pour principale conséquence d’avoir asphyxié économiquement les clubs polonais, baltes, hongrois, etc. En 2020, plus de 15 millions d’euros étaient attribués aux clubs qui arrivaient à la phase de poules. Si l’on ajoute les 900 000 euros pour un match nul et les 2,7 millions pour une victoire, on comprend que toutes ces équipes « chassées » de cette compétition depuis des années sont passées à côté d’un beau paquet d’argent durant tout ce temps. À titre d’exemple, le Legia Varsovie, club le plus riche de Pologne avait un budget 25 millions d’euros en 2018-2019, 10 pour le Lechia Gdansk troisième du championnat. Une simple participation aux phases de poules de la Ligue des champions et le Lechia Gdansk remporterait déjà plus que son budget annuel !
Bien entendu, les conséquences financières de cette exclusion et le partage du gâteau entre Italiens, Anglais, Français, Allemands… sont énormes et nombreuses, on pourrait citer en vrac, le manque d’intérêt des investisseurs, le retard formation, etc.
« On aimera de nouveaux clubs, Des clubs nouveaux. De nouvelles villes. »
Chiche Nathalie ! Et j’aurais même envie de dire qu’on pourrait même « faire du neuf avec du vieux ». On a vu l’engouement pour l’Ajax d’Amsterdam lors de la saison 2018-2019. Les passionnés de foot étaient heureux de retrouver ce club hollandais légendaire. Enfin une équipe qui jouait l’offensive, un football plaisant et un non-habitué des demi-finales. Hélas, c’est à ce stade de la compet’ que l’épopée s’est cruellement terminée pour les Hollandais face à Tottenham, troisième de l’édition Premier league 2017-2018… Bah oui, il fallait bien une finale entre clubs anglais, espagnols, allemands ou italiens. Cette année-là, ce fut une finale de Cup qui fit office de finale de Champion’s league : Tottenham-Liverpool. Le club de Cruyjff était passé par un tour préliminaire, avait amené un vent de fraîcheur par son jeu et un peu de nouveauté dans ces joutes finales stéréotypées entre Barcelone, Munich, Chelsea, Real.
Alors, oui, pourquoi ne pas revoir l’étoile rouge de Belgrade (vainqueur en 1991), le Partizan de Belgrade (finaliste de 1966 face au Réal), Le Legia Varsovie, Ferencvaros, le Slovan Bratislava, Maribor, le Steaua Bucarest (vainqueur en 1986) ? Et pourquoi pas l’Olimpia Lubjana, le Pogon Szczecin, le MTK Budapest ou d’autres équipes disparus des radars européens ?

Il est incontestable de voir que les spectateurs sont lassés de voir toujours les mêmes équipes et les mêmes matchs. Ils aspirent incontestablement à une diversité des équipes. Il ne suffit pas de s’appeler Arsenal, l’Inter de Milan ou le Real Madrid pour susciter l’intérêt du public. Ce public veut DU JEU ; jurisprudence Ajax 2018. Les matchs du Legia Varsovie en 2016-2017 en sont un autre exemple, on peut penser ici au 8-4 face au Borussia Dortmund ou au 3-3 face au Real de Madrid. Le refus massif de cette Super ligue et les manifestations de supporters portent bien ce fait !
Il existe bel et bien chez beaucoup de spectateurs, une réelle lassitude envers cette compétition où l’on voit les mêmes équipes s’affronter chaque année et les mêmes matchs se répéter aussi tous les ans.
Alors oui, on pourrait aimer « de nouveaux clubs, des clubs nouveaux. De nouvelles villes », mais il faudrait que l’UEFA s’ouvre à nouveau au plus grand nombre possible et aille, comme l’écrit la journaliste de TF1 vers un foot « plus populaire, plus engagé, plus spectaculaire, plus culturel ». Le projet de Ligue des champions 2024 va bien entendu, à l’encontre de toutes ces valeurs…
Ressusciter la coupe des coupes
À ce titre, l’idée aussi évoquée sur la chaîne L’Équipe le 19 avril par Gervais Martel, de ressusciter la Coupe des Coupes, est pour le moins intéressante. L’UEFA multiplie les matchs ces dernières années (pour monnayer les droits télé) ; remettre en place cette compétition irait dans son sens et la diversité des équipes présentes irait dans celui du public. Si on la joue en élimination directe comme dans sa forme initiale, on aurait un bon « produit », car il ne faut pas se leurrer « l’argent, la rentabilité, l’outrance » comme l’écrit Nathalie Ianetta, c’est déjà le nerf de la guerre et le moteur des institutions du foot, UEFA ou FIFA (on ne parlera pas ici de la Coupe du monde au Qatar, ses conditions d’attribution et ses morts sur les chantiers…).
La logique de la Ligue des champions actuelle est aussi de proposer de plus en plus de matchs à vendre de plus en plus souvent à de plus en plus de chaînes de télé. C’est comme cela que depuis quelques années les 1/8 ème de finale et et les ¼ de Champions league s’éternisent des semaines et des semaines entre matchs aller et retour diffusés le mardi et le mercredi. Même politique pour la Coupe de l’UEFA morte et enterrée qui a fait place à l’Europa league, compétition incompréhensible où nombre d’équipes s’affrontent dans 12 poules, après avoir pris soin autant que possible, d’éliminer les clubs des pays de l’Est lors des tours préliminaires… Hélas, la quantité de matchs ne rime pas forcément avec qualité… Si l’on passe aussi sur le fait qu’il faut à présent multiplier les abonnements payants pour voir l’ensemble des compétitions…
Levée de boucliers et abandon
Finalement, le délire Superligue prend fin le mardi 20 avril. Ne pas s’y tromper, il n’est pas complètement mort et bouge encore. C’est un très bon levier pour faire chantage encore un peu plus auprès de l’UEFA pour ces 12 clubs qui n’hésiteront pas à l’utiliser de nouveau à la première occasion venue. Pour l’instant, si l’on sait que la Ligue des champions passera de 32 à 36 équipes dans le format 2024, ne nous leurrons pas, c’est un accès automatique au troisième club français et des places aux cinquièmes des championnats anglais, espagnols, italiens ou allemands qui se dessine. Les clubs baltes, d’Europe centrale, d’Irlande, de Scandinavie resteront à la marge… Comme beaucoup de journaux titraient hier la Super ligue ou la Ligue des champions 2024, c’est un peu le choix entre la peste et le choléra…
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Pour information, depuis 1992, le système Ligue des champions a mis à la marge le football des pays d’Europe centrale (hors Russie et Ukraine) :
Belarus (1 club, 5 participations) : BATE Borisov (2008–2009, 2011–2012, 2012–2013, 2014–2015, 2015–2016)
Bulgarie (1 club, 2 participations) : Ludogorets (2014-2015, 2016-2017)
Croatie (2 clubs, 6 participations) : Dynamo Zagreb (1998-1999, 1999-2000, 2011-2012, 2015-2016, 2019-2020), Hadjuk Split (1994-1995)
Hongrie (2 clubs, 2 participations) : Debrecen (2009-2010), Ferencvaros (1995-1996)
Pologne (2 clubs, 3 participations) : Legia Varsovie (1995-1996, 2016-2017) Widzew Lodz (1996-1997)
Roumanie (4 clubs, 12 participations) : Steaua Bucarest (1994-1995, 1995-1996, 1996-1997, 2006-2007, 2007-2008, 2008-2009, 2013-2014), Cluj (2008-2009, 2010-2011, 2012-2013), FC Unirea Urziceni (2009-2010), Otelul Galati (2011-2012)
Serbie (2 clubs, 4 participations) : Partizan Belgrade (2003-2004, 2010-2011) Étoile rouge Belgrade (2018-2019, 2019-2020)
Slovaquie (2 clubs, 2 participations) : Artmedia Bratislava (2005-2006), Zilina (2010-2011)
Slovénie (2 clubs, 4 participations) : Maribor (1999-2000, 2014-2015, 2017-2018) FK Kosice (1997-1998)
Tchéquie (3 clubs, 11 participations) : Sparta Prague (1997–1998, 1997–1998, 1999–2000, 2000–2001, 2001–2002, 2004–2005, 2005–2006, 2019–2020) Slavia Prague (2007–2008), Pilzen (2013–2014, 2018–2019)
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