Si en France, la question des joueurs binationaux a fait des vagues en 2010, en Pologne c’est la question de la naturalisation des joueurs qui fait souvent polémique.
ACTE I OLISADEBE
Année 2000. Cette année-là, le Polonia Varsovie fait un doublé championnat-coupe de la ligue. Inutile de préciser qu’Olisadebe et ses 12 buts inscrits contribue grandement au succès des joueurs aux maillots noirs. De son côté, l’équipe nationale se cherche un buteur, les deux grands buteurs polonais des 90’s Andrzej Juskowiak et Krzysztof Warzycha étant clairement sur la fin. Zbigniew Boniek (légende vivante du foot polonais) et Jerzy Engel (sélectionneur) soumettent alors l’idée à Michał Listkiewicz président de la Fédération polonaise de football (PZPN) et au président de la République polonaise Aleksander Kwasniewski de naturaliser Emmanuel Olisadebe. Good idea ! Le 16 aout 2000, Olisadebe est le premier noir à jouer pour la sélection polonaise et durant la campagne de qualif’ pour la coupe du monde 2002 au Japon et en Corée, il marque 9 buts et envoie la sélection nationale polonaise en Asie (la Pologne n’avait alors plus participé à une coupe du monde depuis 1986 !).
Le foot polonais est alors tellement dans la dèche que les talents de buteur d’Olisadebe et la qualif’ en World cup 2002 font que la polémique sur le fait qu’il ne soit pas un « vrai polonais » fait Pschiiiiiit (comme disait l’Autre).
La suite pour Olisadebe, c’est le Panathinaïkos de 2001 à 2005 et une disparition de l’équipe nationale (3 matchs en 2003 et un seul en 2004). Puis en 2005-2006 : Portsmouth où il ne joue que 2 matchs avant de se faire prêter en Grèce au Xanthi en 2007 et de partir dans l’obscure club chypriote APOP Kinyras FC ensuite. Perdu pour perdu, Olisadebe va en Chine en 2008 et passe deux ans au sein du Henan Construction F.C. Olisadebe est ensuite retourné en Grèce, en troisième division au Vyzas F.C puis au PAE Viria avant de mettre fin à sa carrière en 2013.
ACTE II ROGER GUERREIRO
Flamengo, Corinthians, Celta Vigo… Roger Guerreiro, le natif de Sao Paulo se ballade pas mal avant de poser ses valises dans la capitale polonaise et d’enfiler le maillot du Legia Varsovie en 2006. Roger c’est un bon petit joueur mais quand même plus proche d’un Benji Nivet que de ses talentueux compatriotes Kàkà ou Ronaldinho. Bref, Roger est lucide et sait pertinemment qu’il n’enfilera jamais le maillot Auriverde de la Seleção. De son côté, Léo Beenhaker (alors sélectionneur de l’équipe nationale Polonaise) cherche un milieu de terrain et se demande si avec Roger, il n’y aurait pas moyen de moyenner. Et effectivement, il y a moyen. Le 17 avril 2008, après une procédure accélérée pour permettre à Roger d’aller à l’Euro 2008, Guerreiro obtient la nationalité polonaise au cours d’une cérémonie avec le défunt président Lech Kaczyński. Le 27 mai 2008, deux ans à peine après son arrivée en Pologne, Roger fait ses débuts sous le maillot des Blancs et rouges contre l’Albanie.
Bien sûr, tout ça ne se passe pas facilement et la polémique grandit. Tout d’abord, du point de vue sportif, parce que Roger Guerreiro n’a pas participé au moindre de match des qualifs pour l’Euro 2008. Ensuite car il ne parle pas polonais couramment. On voit alors émerger des pro Guerreiro pragmatiques qui partent du principe que l’équipe est tellement faible et que l’apport d’un joueur un peu plus technique ne peut pas faire de mal. Beenhaker de son côté, prend la défense de son poulain en évoquant un monde mondialisé : «Le monde a changé. C’est un village global. Les personnes vivent et travaillent où elles veulent. C’est pareil dans le football. Combien de Polonais jouent en Allemagne ? Les Brésiliens jouent pour le Portugal, pour la Croatie. C’est normal qu’un pays naturalise les joueurs qui évoluent dans leur championnat. Je n’ai pas inventé cela, c’est le football contemporain. »
Au moment de la polémique, des banderoles ouvertement racistes et hostiles à la naturalisation de Guerreiro apparaissent dans les stades. D’abord en mai 2008 ; lors du match opposant le Jagiellonia Bialystok au Legia de Roger Guerreiro, une banderole « Roger tu ne seras jamais un polonais » (« Roger – nigdy nie będziesz Polakiem ») est sortie par les « supporters » locaux. Quelques jours plus tard, une banderole avec la même inscription sera sortie dans les tribunes de l’Odra Wodzisław.
Bref, d’un côté, on évoque la mondialisation et un impératif sportif, de l’autre, un nationalisme primaire.
Au milieu, il y a les joueurs de l’équipe nationale un peu perplexes, à l’image de l’emblématique Jacek Bak qui déclarait : « S’il se sent polonais, si son cœur bat lorsqu’il entend notre hymne national et s’il donne tout sur le terrain, cela pourrait fonctionner. Sinon, ça pourrait poser un problème ».
Toujours est-il que Roger Guerreiro a participé à l’Euro 2008 désastreux (la Pologne se fait éliminer en phase poule sans gagner le moindre match), est parti en Grèce (à l’AEK Athènes à l’été 2009) et a joué 26 matches pour la Pologne entre 2008 et 2011.
ACTE III LUDOVIC OBRANIAK
Obraniak c’est un peu différent qu’Olisadebe ou Guerreiro. Tout d’abord, il a des grands-parents polonais, un nom polonais et du sang polonais et ça, c’est un argument de poids qui ferait taire le premier nationaliste venu. D’un point de vue sportif, pour son premier match avec la Kadra narodowa contre la Grèce le 12 aout 2009 à Bydgoszcz, Obraniak a inscrit un doublé.
Autre élément important, on est en droit de penser qu’Obraniak (joueur de Lille, champion de France en titre, buteur décisif lors de la finale de la dernière coupe de France) aurait pu figurer à court ou moyen terme en équipe de France (ça n’engage que moi).
Bien sûr, on a pu lire sur certains forums que « Obraniak nigdy nie będzie polskim piłkarzem » (Obraniak ne sera jamais un footballeur polonais).
Les performances d’Obraniak, pièce essentielle de l’équipe nationale comme la sincérité de sa démarche semble plaider en sa faveur et son intégration semble se faire sans trop de vagues (moins que pour Roger Guerreiro du reste).
ACTE IV LAURENT KOSCIELNY
Dès 2009, après une bonne saison en Ligue 2 avec Tours, la fédération polonaise contacte Laurent Koscielny. Il faut préciser qu’à l’époque, la fédération polonaise avait une liste de joueurs qui ont des origines polonaises et qui seraient susceptibles de porter le maillot de la Kadra narodowa. Cette idée de « récupérer » des polonais potentiels était une réponse à la perte de joueurs polonais qui jouent pour d’autres pays, on pense ici au duo d’attaque de la Mannschaft Lukasz Podolski (né à Gliwice) et Miroslav Klose (né à Opole). Koscielny refuse la sélection polonaise en expliquant en toute honnêteté qu’il ne sent pas Polonais. En 2011, il est sélectionné en équipe de France.
ACTE V DAMIEN PERQUIS
On attendait la naturalisation du défenseur central Colombien Manuel Arboleda qui évolue en Pologne depuis 2006 (d’abord au Zaglebie Lubin puis à présent au Lech Poznań) mais c’est celle (un peu surprenante il est vrai) du français Damien Perquis qui est arrivée. Si on pouvait comprendre la naturalisation d’Obraniak celle de Perquis reste assez énigmatique. Tout d’abord car même si le foot polonais n’est pas au top, trouver des joueurs du niveau de Perquis ça ne semble quand même pas relever du domaine de l’impossible. De plus, le lien entre Perquis (qui est par ailleurs, ancien joueur en équipe de France espoir) et la Pologne est plutôt léger (sa grand-mère était d’origine polonaise). Si on est en droit de penser qu’Obraniak aurait pu avoir ses chances en bleu, on sait en revanche que Perquis aurait sans doute était « tricard » chez les tricolores.
Jan Tomaszewski (gardien de but de la mythique équipe polonaise de 1974, devenu député du parti conservateur et nationaliste Droit et Justice) qui n’est jamais à une bêtise près (surtout une à caractère nationaliste [pléonasme] en période électorale) a résumé la situation avec ses (gros) mots à lui : «Perquis est un déchet français, déchet du football qui n’a pas réussi chez lui. Je suis dégoûté de le voir porter le même maillot que les vrais Polonais qui ont remporté des médailles pour la Pologne». De son côté, Perquis a décidé de porter l’affaire devant les tribunaux.
Bref, son ancien statut de France espoir, son lien lointain avec la Pologne et son niveau de jeu qui le met (très) loin des portes de l’équipe de France sont autant d’éléments qui peuvent jeter le doute sur Perquis pour qui l’équipe nationale polonaise semble être sa seule et dernière chance de jouer et participer à des compétitions internationales. Toutefois, Damien Perquis ne mérite pas les insultes et le manque de sincérité de sa démarche comme son attachement ou manque d’attachement à la Pologne restent à prouver.
ACTE VI LES « ALLEMANDS »
Eugen Polanski est né à Sosnowiec et arrivé en Allemagne lorsqu’il était âgé de deux ans. Formé au Borussi M’gladbach où il a joué jusqu’en 2008, Polanski a connu toutes les catégories dans les sélections de jeunes de la Mannschaft. Approché par la sélection polonaise dès 2006, en vue de la Coupe du monde en Allemagne, il refuse et joue l’Euro espoirs 2006 avec l’Allemagne. En 2008, Polanski part à Getafe (jusqu’en 2010) puis il revient en Allemagne, à Mayence en 2010 (où il évoluera jusqu’en 2013). Comme sa carrière s’enlise et que ses chances de sélection avec l’équipe nationale allemande sont nulles, Polanski endosse le maillot polonais en 2011. Il connaîtra 19 sélections, participera à l’Euro raté en Pologne en 2012 et prendra sa « retraite internationale » suite à la non qualification des Polonais à la Coupe du monde au Brésil. Rien de bien glorieux…
Même type de parcours pour Sebastian Boesnisch qui, comme Polanski, est né en Pologne (à Gliwice) et a évolué avec les sélections allemandes de jeunes. En 2009, il est même sacré champion d’Europe espoirs avec l’Allemagne aux côtés de Ozil, Howedes, Manuel Neuer, Mats Hummels, Jerôme Boateng et Sami Khedira. En 2010, alors qu’il n’avait plus le niveau de ses collègues champions d’Europe espoirs, il accepte de jouer pour la Pologne. Tout le monde est gagnant dans l’histoire : Boesnisch devient international et la Pologne se trouve un joueur au poste d’arrière gauche, qui reste, aujourd’hui encore, un problème récurrent de la sélection polonaise. 14 sélections plus tard et une participation à l’Euro-fiasco de 2012, Boesnisch ne rejouera plus pour la sélection nationale.
Parcours un peu différent de Polanski et Boesnisch, Adam Matuszczyk a toujours joué pour la Pologne, même en Espoirs. Sélectionné à 21 reprises, il a aussi participé à l’Euro 2012. Il a connu sa dernière sélection en août 2013, lors d’un amical face au Danemark où il était d’ailleurs, resté sur le banc…

ACTE VII THIAGO CIONEK
21 sélections entre 2014 et 2018 pour le Brésilien aux grands-parents polonais. Cionek a même joué en Ekstraklasa, au Jagiellonia Bialystok (2008-2012) en remportant une Coupe et une Super coupe de Pologne en 2010. Cionek a ensuite fait un tour d’Italie (Modène, SPAL, Reggina, Padoue, Palerme) et était du voyage en France lors de l’Euro 2016 où il a joué 90 minutes arrière droit face à l’Ukraine à Marseille. En 2018, il faisait partie des sélectionnés pour la Coupe du monde en Russie. Il marque un but contre son camp lorsdu premier match face au Sénégal, comme un symbole et un bon résumé de ce qu’à fait Cionek en sélection. A ce jour la sélection de Cionek et ses performances nullissimes restent un phénomène non expliqué…

EPILOGUE MATTY CASH
Novembre 2020, c’est au tour de Matty Cash, le « piston » (oui, c’est la mode de parler de piston) d’Aston Villa qui s’engage pour la sélection polonaise pays de ses grands-parents maternels. Surprenant de ne pas voir le jeune joueur attendre une sélection des three lions… Comme disait l’autre : « Le cœur a ses raisons que la raison ignore ». Reste à voir s’il sera utile dans la course à la qualification pour la Coupe du monde au Qatar en hiver 2022…


